Holacratie : Retours d’expérience d’entreprises qui disruptent le management

Dans la mouvance de l’“entreprise libérée”, l’holacratie est une technologie de management où l’autorité et les prises de décisions sont descendues et distribuées à des équipes qui s’autogèrent tout en respectant l’alignement stratégique de l’entreprise. Une vision commune, la raison d’être de l’entreprise, fédère les employés, aidés par des mécanismes de communication très précis. Cette boîte à outils, développée entre 2001 et 2006 par l’américain Brian Robertson, permet aux salariés organisés en cercle interdépendants et non hiérarchiques de développer leur créativité et leur autonomie pour accélerer la croissance de leur entreprise.

Les sociétés qui ont testé l’holacratie ne sont plus des cas isolés. En France on peut citer les sociétés Auchan, Decathlon, Castorama, Danone, Biocoop, Arcadi, l’Atelier du Laser ou encore Netika IT . Toutes ont tenté l’expérience, certaines avec succès alors que d’autres sont vite revenues en arrière.

Pour celles au sein desquelles l’holacratie s’est maintenant enracinée et a répondu aux attentes, les témoignages nous montrent cependant que le chemin vers l’holacratie est un long processus, qui demande plusieurs années d’adaptation et qui peut-être semé d’embûches.

Ces témoignages permettent également de battre en brèche certaines idées reçues en revenant sur le rôle des managers et sur le risque pour les collaborateurs de se retrouver sans cadre pendant la transition vers ce nouveau paradigme.

L’holacratie supprime-t-elle les managers ?

Matthieu Brunet président du directoire de la société Arcadi qui commercialise des plantes médicinales et épices en Bio a fait le choix de l’holacratie en 2017. Il revient sur son expérience lors d’une interview donné à la société IGI.

Pour Mathieu Brunet, “holacracy” est un outil de management qui n’a pas pour vocation de supprimer le management mais qui propose une autre façon de manager. “En holacratie, plus de seigneur, plus de petits chefs. Il y a des rôles” souligne-t-il. Le management reste une compétence fondamentale pour les entreprises. Toute la difficulté est de désapprendre ce que les managers ont appris à l’école. “Le manager ne fait pas ce qu’il veut , il a des comptes à rendre face à des règles et à la constitution holacratique” ajoute-il.

Pour Isabelle Baur, présidente du directoire de Scarabée Biocoop à Rennes l’holacratie n’a pas non plus pour finalité de supprimer le management mais plutôt de briser le mauvais côté de la hiérarchie, les prises de pouvoir indues et de remettre ce rôle sur le chemin de l’excellence. Les comportements néfastes sont gommés . Le pouvoir s’exerce sur des missions en fonction de son rôle et non plus sur des gens. Le management accompagne les collaborateurs pour servir la raison d’être de l’entreprise et n’est pas une fin en soi.

Le manager , rebaptisé “1er lien” de son cercle chez Scarabée Biocoop joue un rôle crucial dans l’adoption de l’holacratie par les collaborateurs en montrant l’exemple, se formant à cette nouvelle technologie de management pour accompagner ses équipes. Pour cela le manager a besoin d’outils. Un des outils innovants de l’holacratie est le concept de “tension”, qui désigne l’identification d’un besoin d’évolution. C’est sur cette base de collecte et d’analyse des tensions permanente que l’organisation peut s’adapter pour évoluer. La mise en place de l’holacratie passe donc avant tout par une libération de la parole et le manager qui naît de ce nouveau framework managérial doit être capable d’écoute, d’empathie et de se remettre en question fréquemment.

Même si le rôle de manager existe toujours chez Arcadi, avec la nécessité d’assumer un grand nombre de responsabilités, certaines d’entre elles sont transmises à d’autres personnes par l’apprentissage du self-management.

Dans cet approche de self-management, chaque personne doit se comporter en manager de ses rôles, comme s’il dirigeait sa petite entreprise. En holacratie, il faut donc apprendre à être intrapreneur. Il faut être capable de prendre du recul sur son travail. Il faut, pour chaque rôle, étudier ses clients internes ou externes, les facteurs clés qui peuvent être améliorés, savoir prendre des initiatives pour faire grandir les pratiques de son rôle.

Cet état d’esprit qui demande du temps pour s’enraciner, représente déjà une transmission de compétences de management vers des équipes plus autonomes. Le self-management permet aux personnes d’exprimer leur talent en libérant la créativité.

En ce sens, l’holacratie a comme principale vocation d’aligner les personnes avec leur zone de talent pour accélérer le développement de l’entreprise

Suffit-il de donner la liberté aux gens pour qu’ils s‘en saisissent ?

Dans son retour d’expérience, Sébastien Di Pasquale, dirigeant de l’Atelier du Laser met en garde contre un passage trop brutal et sans outil à la libération de l’entreprise. Sa première tentative pour donner une complète autonomie à ses équipes s’est soldée par un échec faute de cadre et de directive. Et c’est en adoptant la boite à outils “holacracy” en 2018 qu’il a pu remettre ce cadre nécessaire pour organiser, rassurer ses collaborateurs et susciter l’adhésion.

Tous les témoignages d’entrepreneurs ayant adopté ce chemin se rejoignent sur un point : Un tel bouleversement de culture nécessite beaucoup de pédagogie et une grande clarté dans les rôles et les projets. Pour cela, le framework offre les outils permettant de définir les règles du jeu (la constitution), la vision commune (la raison d’être de l’entreprise), les rôles de chacun. Il permet de sécuriser le passage au self-management afin que tous les salariés puissent avancer à leur rythme et en confiance sur le chemin de la transformation.

Pour Mathieu Brunet chez Arcadi, beaucoup d’énergie et de temps ont été dépensés pour bien décrire et expliquer le self-management. Le mouvement est trop profond pour faire l’impasse sur la formation de ses collaborateurs. Et il faut que ce mouvement vienne d’en haut pour donner l’exemple et faire en sorte que chacun prenne son rôle sans empiéter sur celui du voisin.

Pour tous les chefs d’entreprise qui ont franchi le pas, la plus grande difficulté dans la mise en place de l’holacratie réside dans la transformation de l’individu. Le changement ne peut-être imposé et chaque collaborateur doit faire son propre cheminement vers l’adoption de cette nouvelle organisation avec le risque pour certain de ne pas s’y retrouver et de quitter la société.

Mais pour les entrepreneurs interrogés qui ont su mettre l’énergie nécessaire plusieurs années durant pour enaraciner l’holacratie dans leurs équipes, les bénéfices de cet outil tourné vers l’humain et vers sa responsabilisation sont réels. Ils ont contribué de manière tangible à la réussite de leur entreprise.

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